Vendredi 26 mai, il est 5h du matin lorsque nous partons de Metz, direction Annecy. Voilà maintenant plusieurs mois que nous parlions MaxiRace, que nous mangions MaxiRace, que nous courrions MaxiRace. Plusieurs mois de dûr travail qui devaient se concrétiser d'ici quelques heures. Certains pourront considérer la course comme de moindre importance, une course parmi d'autres, une étape dans la préparation d'une course plus difficile. Pourtant, de l'importance elle en avait pour moi, car dans ma courte vie de traileur, je n'avais jamais participé à une course de cette distance, encore moins de ce dénivelé, je ne m'étais jamais mesuré aux tracés des Alpes et à ce titre, cette course se devait d'avoir une saveur toute particulière, puisqu'elle était : mon baptême du feu alpin.
D'ordinaire serein et n'attachant que peu d'importance à la course, je vous mentirais en vous disant que cet avant course n'a pas été ponctuée de petits moments de stress, "courir une quinzaine d'heures , c'est inhumain", "je vais mourir de chaud", "et si je ne digérais pas la croziflette de ce soir" ... Parce oui, oui j'ai mangé une croziflette la veille de la course, et par dessus le marché, il était 20h00 quand nous sommes passés à table, pour un départ le lendemain à 5h. Ne dit-on pas qu'à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ? Personnellement je n'avais pas vraiment envie de me mettre la pression à me cuisiner 300grammes de pâtes blanches dans mon chalet loué spécialement pour l'occasion, avant de me coucher à 20h en sachant pertinement que je n'allais pas dormir. Une virée en ville histoire de se vider l'esprit, la bonne décision c'était peut-être celle là ! De retour au chalet, il est l'heure de préparer les affaires : les flasques sont remplies, les téléphones mis en charge, le porte dossard est ajusté, la nourriture comptée. La minutieuse préparation est ponctuée de grandes expirations, tentatives de contrôle de cette pression qui ne cessait de grandir en moi. Je vais me coucher, pour 3h le réveil est programmé, et c'est sans honte que je le dis, pour la première fois de ma vie à la veille d'une course, j'ai peur.
Samedi 27 mai, 3h30, le réveil sonne. La nuit n'a pas spécialement été mauvaise, mais quelques heures de sommeil supplémentaires n'auraient pas été de refus. Ma supportrice du jour me conduit au départ depuis Seynod. Plus on se rapproche de la zone de départ, plus les coureurs se font nombreux. Il doit être 4h30, il fait nuit noire et les centaines de personnes présentes ne troublent pourtant pas la tranquillité de la nuit, chacun se préparant à sa course, le tout, dans le plus grand des silences. Nous nous dirigons, avec les quelques membres du club également engagés sur le 83 kilomètres, vers la zone de départ. Plusieurs sas ont été mis en place, j'abandonne mes compagnons lorsqu'ils s'engoufrent dans leurs zones de départ, dernière grave poignée de mains avec mon père, en lui disant que lorsque l'on se reverra, ce sera en qualité de finishers ! Avec mon dossard 10346, je prends place dans le troisième sas, dans lequel je reste bien au fond. On ne voit rien, hormis une faible lumière éclairant le logo Salomon de l'arche de départ. Le speaker donne les dernières consignes avant d'amorcer le décompte, brusquement tout s'accélère, tout le monde piétine et c'est parti ! Le départ de cette MaxiRace 2017 est donné !
Les premières centaines de mètres sont effectuées le long du lac, éclairé par quelques lumières ça et là. A ma grande surprise des supporters sont déjà présents ! Mais vu l'entrain et la détermination que mettent ces derniers dans leurs encouragements, il y a fort à parier que ce ne sont que de mauvais clubbers sortis de boîte un peu trop tôt et pris malgré-eux dans l'ambiance de ce début de course. Quoi qu'il en soit, la course est lancée ! Evidemment, une course n'en serait pas une sans ses fous furieux doublant à tour de jambes dans les trois premiers kilomètres, je reste encore une fois bouche bée devant ces types qui pensent partir sur dix kilomètres, qu'importe, ça fera des places de gagner sans se fatiguer au prochain ravitaillement...
Sachant qu'on part pour quelques kilomètres de montée, j'essaye de me faire des amis avec qui taper la causette, histoire que l'ascension soit moins monotone mais la première tentative est un echec. J'entends parler de points UTMB et de CCC, j'essaye d'intégrer la conversation, mais rien n'y fait, personne ne veut causer ce matin, tant pis. Je monte très tranquillement, à un rythme bien inférieur à celui qui est d'ordinaire le mien, car je ne sais pas vraiment comment gérer la course et comment mon corps va réagir à cet effort nouveau. Dans le doute, je prends mon temps, car de toute manière, le but aujourd'hui c'est de terminer la course, et rien d'autre. Les conditions météo sont pour le moment optimales, la fraicheur du matin et des plus agréables, le terrain est sec et se compose majoritairement de caillasses et de bonnes racines, un poil différent de notre terrain Vosgien. Oui la croziflette de la veille, on y vient ! A ce moment précis je la regrette un peu, quelques douleurs d'estomac me rappellent que ce n'était peut être pas la plus sage des décisions, mais disons qu'il n'y a rien d'insupportable. Je rattrape un copain du club avec qui je décide de monter jusqu'au Semnoz. Je suis plutôt frais mais je me réserve pour la suite, et un peu de compagnie ne me fait pas de mal, le temps passe plus vite!
Les quelques centaines de mètres avant le sommet du Semnoz sont source de motivation, il y a du monde, de beaux paysages à contempler, à ce moment, la course est vraiment plaisante. La vue est à couper le souffle. Une fois le sommet passé, et après une légère descente, nous arrivons sur le premier ravitaillement. J'y croise des personnes qui me sont familières, histoire de se redonner du courage. Le ravitaillement est absolument bondé, tout le monde court, se bouscule, à celui qui remplira sa flasque en premier et j'en passe. Une soupe à la bonne température, ni trop chaude, ni trop froide, du pain, du fromage et du jambon, quelques quartiers d'orange auront été suffisants pour que je sois à nouveau d'attaque. Je fais remplir mes flasques et je repars. En sortant du ravitaillement, et à quasiment 1700m d'altitude, il fait presque frisquet. Il est un peu plus de 8h00 après 18 kilomètres et 3h07 de course.
En repartant du ravitaillement, on profite quelques instants des beaux paturages et de la verte prairie avant de s'engager sur une trace bien moins accueillante, majoritairement de la caillasse avec une forte pente, je crois que l'heure de se chauffer les quadris est venue ! Voilà pas 10 minutes que je suis parti du ravito que la digestion fait déjà son oeuvre, le tout allié à ces maux de ventre précédents. Je me fais à l'idée que je vais devoir m'arrêter pour régler ce petit problème ... et alors qu'il fait encore relativement frais, la goutte qui s'échappe de mon front m'indique clairement qu'il va falloir le régler rapidement ce problème. La gêne se fait plus intense et lorsque je souhaite m'arrêter, je repense au fait que la descente depuis le Semnoz allait être intégrée au Négatif-Trail Challenge. Entendez par là le temps passé sur les quatre descentes les plus importantes de la course, en gros le classement du meilleur descendeur ! Hors de question donc de s'arrêter. Cette descente j'ai l'impression de la subir un peu, la première de la journée, et je ne suis pas vraiment habitué à descendre si longtemps, presque 10 kilomètres ! Pour autant il n'y a rien de bien technique et je rallie Saint-Eustache en douceur, je refais rapidement l'appoint en eau et je repars.
L'ascension du col de la Cochette se fait sans véritable accroc, ça monte plutôt fort mais pendant peu de temps, les premières fenêtres s'ouvrent sur le lac, sans toutefois trop se dévoiler, comme un avant gôut des beaux paysages qui allaient nous attendre sur la seconde partie de parcours. En revanche, ce que je me remémore très bien, c'est la descente de ce col, une superbe monotrace dans laquelle je me fais plaisir, je double beaucoup de coureurs vraisemblablement en difficulté dans cette partie technique. Il y a encore du monde et les sentiers sont relativement serrés, lorsque'une occasion de dépasser se présente, il ne faut pas la manquer. J'ai justement devant moi un bon descendeur qui m'ouvre le passage et qui nous annonce à chaque dépassement. Ludique, joueuse, le terrain est sec et la poussière se soulève au passage de chaque coureur, un vrai régal. La fusée qui me précède d'ailleurs manque de se vautrer magistralement. Par je ne sais qu'elle accrobatie, il arrive pourtant à se rattraper à un arbre : 9 pour la beauté du geste. Le temps passe à une vitesse folle que nous sommes déjà au 35 eme kilomètre. Poignée de mains échangée avec celui qui m'a ouvert la route et je ne manque pas de le remercier pour la sympathique descente qu'on a finalement rapidement enchainée. Jusqu'à présent nous nous trouvions en permanence abrités du soleil, lorsque la trace nous fait sortir de la forêt, je suis presque aussitôt frappé de plein fouet par le soleil. Je profite de la présence d'une rampe à eau pour m'asperger mais rien n'y fait, la chaleur et le soleil commencent à faire leur oeuvre. Je repars du point d'eau, un peu inquiété par les températures auxquelles je n'avais pas réellement prêté attention jusqu'à présent.
Durant les quelques 6 kilomètres restant pour rallier Doussard et la mi-course, je bois sans cesse, cherchant à étancher ma soif sans y parvenir. Le profil est descendant et plat jusqu'au prochain ravitaillement mais sans aucun doute il s'agit là pour moi d'une des parties les plus compliquées de cette course, je souffre subitement de la chaleur, à laquelle la course ne nous avait pas exposés jusqu'à présent et quelques kilomètres de plat sur route goudronnée entameront grandement mon moral. Malgré tout je reste positif, le lac se dévoile toujours un peu plus et on commence à pouvoir véritablement profiter du paysage.
Plus qu'un seul kilomètre et le ravitaillement de Doussard sera à moi, j'ai bu près d'1L5 d'eau en 6 kilomètres, je tiens dans ma main la flasque que je viens de vider. Il y a un monde fou sur ce ravitaillement, les encouragements pleuvent de tous côtés, un homme voyant bien que je suis entamé me lance un " 300 m et tu vas pouvoir boire un coup !", j'en rêve ! Juste avant de passer le portique, je reconnais des membres du club à qui je fais rapidement signe sans m'attarder, je meurs d'envie de boire et de me ravitailler. En entrant dans la zone, je plonge ma tête sous l'eau froide pour tenter de faire baisser la température, il est midi est la chaleur est accablante. Je prends le temps de me ravitailler, et si certains ont pu trouver quelque chose à redire sur la quantité et la diversité de nourriture présente, celle-ci me convient parfaitement : pizza, quiche, jambon, fromage, pain, soupe, salade de pâtes, compotes à emporter, du salé, du sucré, tout y est, rien ne manque ! Je discute avec des amis messins, dont Loïc ( la star de mon précédent récit ), qui me mettent en garde sur cette seconde partie de course, plus exposée, plus technique et surtout plus raide. En sortant du ravitaillement je vois in-extremis des personnes qui me son chères, ce qui ne manque pas de me rebooster, car à cet instant, le moral n'est pas au beau fixe, la course est encore longue.
Une fois le col de l'Aulp passé, c'est au Roc de Lancrenaz que nous nous attaquons, amorcée par une pente relativement douce et en lacets, la montée se corse subitement, il n' y a plus réllement de trace et chacun monte là où bon lui semble de monter. Par moment il vaut mieux poser les mains pour se sécuriser. Encore une fois à près de 1700 m d'altitude, la vue est d'ici immanquable, et les derniers mètres sont réalisés à l'aide d'une corde. Une fois en haut, je me dis que le plus dur est fait. C'était sans compter sur la descente qui allait suivre...
Au sommet, plusieurs personnes prennent le temps de se reposer, je me demande un instant si moi aussi je vais rester là quelques minutes. Finalement je décide de ne pas perdre de temps et d'entamer la descente. Encore une fois, c'est de la bonne caillasse à laquelle nous avons affaire, le chemin est large mais la pente relativement raide et ces fichus cailloux ne permettent pas de descendre proprement, le sol est instable, ça glisse, quelque chose me dit que ça ne sera pas de tout repos. Un faux plat moins caillouteux permet de recourir normalement. Avant que la trace ne repique, je marche quelques mètres, un groupe de l'organisation est là pour indiquer le chemin à suivre et on me lance un " allez là ! faut y aller ! - faut y aller, faut y aller ... c'est vite dit ça ! " tout le groupe rigole, personnellement je soupire et ne rigole qu'à moitié. Parce qu'à ce moment, je ne savais pas que je m'engageais sur la descente de 10 kilomètres la plus longue de ma vie. Le chemin, encore une fois, n'est pas spécialement technique, mais la pente est vraiment raide et les quadris encaissent. Je suis même étonné du fait qu'ils encaissent sans broncher. Je dépasse encore quelques coureurs qui semblent presque arrêtés, crampés sur leurs bâtons et résolument décidés à ne plus courir, mais marcher. J'essaye le moins possible de retenir ma foulée pour ne pas faire travailler les cuisses plus qu'elles ne travaillent déjà. A mi-descente, le profil se fait plus doux, et la relance est permise. Mes cuisses sont endormies mais je ne ressens pas de crampe, comme si cette descente avait fait office de bon échauffement, j'arrive à courir à bon rythme, à relancer, sans éprouver de difficulté, c'est certainement le moment de la course où je me sens le mieux. Peu de temps s'écoule avant d'arriver au dernier ravitaillement, celui de Menthon-St Bernard.
En arrivant à Menthon, je me donne le temps de me ravitailler correctement, il reste une quinzaine de kilomètres et je souhaite éviter toute défaillance dans cette dernière partie de course. Il fait encore excessivement chaud et j'ai du mal à trouver de l'air, lorsque j'entre dans le gymnase et que je m'asseois quelques instants, j'ai l'impression d'être dans un hammam, je transpire alors même que je ne bouge pas, je sens réellement la chaleur s'échapper de mon corps, chaleur emmagasinée durant cette journée déjà bien entamée. Je mange correctement et décide de faire un tour par le stand du podologue, lui demande de la crème anti-frottement car je sens que les ampoules commençent à faire leur apparition. Une fois la crème passée, je repars, déterminé à en finir le plus rapidement possible. 68 kilomètres de course, il est 16h52 et voilà près de 12h que je cours.
Je pars donc confiant, un peu trop peut-être, car je me dis que le plus dûr est fait et que cette fin de course ne sera qu'une formalité. Seulement, je suis vite rattrapé par la réalité quand un coureur qui se porte à mon niveau engage la discussion et m'annonce qu'il reste près de 1000 mètres de d+. Un chiffre qui me fait saigner les oreilles et qui a un effet instantané. En plus de ça, j'ai l'impression de mal digérer le dernier ravitaillement, j'essaye de me rassurer en disant que c'est normal, qu'il me faudra une bonne demi-heure pour assimiler. Pourtant, plus je monte, et plus je me sens mal, c'est sûr quelque chose que j'ai mangé au ravitaillement ne passe pas. Mes "supporters" du jour m'envoient des messages pour me remonter le moral, mais ces derniers kilomètres paraissent interminables. D'autant que les derniers mètres pour atteindre le Mont Baron sont vraiment difficiles, une montée plutôt technique et des rochers à gogo sont sur le point de me faire exploser. Je tiens bon malgré cela et lorsque je vois le poste de secours en montagne, je me dis que nous sommes en haut. J'en profite pour prendre une photo car la vraie vue sur le lagon bleu, c'est d'ici que nous l'avons ! Au final il faudra encore grimper quelques dizaines de mètres pour être réellement au sommet de ce Mont Baron, un dernier badgeage confirmera que désormais c'est la descente que j'allais attaquer.
C'est parti pour 3 ou 4 kilomètres de descente, au départ légèrement technique, elle se fait ensuite plutôt roulante. Elle est même sympathique cette descente, enchaînant lacet sur lacet sans trop fort dénivelé. Au travers des arbres on aperçoit le lac, plus on descend et plus il grossit naturellement. Un membre de l'organisation m'annonce exactement le nombre de mètres restant, mais je ne l'écoute pas vraiment, mes yeux sont rivés sur ce lac qui grossit, trop lentement à mon goût. C'est ensuie la voix du speaker, les klaxons des voitures et le brouhaha de la circulation qui m'indiquent qu'il ne me reste plus que quelques centaines de mètres avant de sortir de la forêt et de rejoindre la promenade du lac. Ca y est, le dernier chemin trace tout droit au travers des arbres vers le lac, je sais que j'y suis, la route est maintenant visible. Je la traverse et j'emprunte le ponton, sur lequel nombreux sont ceux qui s'adonnent à un sport dans lequel j'excelle : l'apéro. Il y a foule et il faut parfois esquiver les badauds. Je ne compte plus les encouragements, les "bravo", les "courage", car il ne m'atteignent plus, non pas par égoïsme, mais tout simplement parce que je suis trop concentré à chercher du regard le point qui marquera l'arrivée de cette course de folie. Je quitte le ponton, et j'attaque la ligne droite que je reconnais, le dernier morceau de trottoir, avant de bifurquer sur la gauche, on me dit qu'il reste 200 mètres. Une fois le virage opéré, je vois l'arche d'arrivée, mes soutiens sont là, je ne les vois qu'au dernier moment, je sers le poing en même temps que je soupire, ma soeur me lance un " termine propre !! ". Ce moment que j'avais imaginé tant de fois, ce moment qui avait donné lieu à tant de discussions mégalo du genre " tu crois que je dois passer la ligne comment ? je dois faire quoi ? comme ça, ou comme ça ?", ce moment, c'est maintenant. Je monte sur l'espèce de rampe qui se trouve sous l'arche, et rien. Il ne se passe rien car je suis vide, incapable de lever les bras, non pas parce que je n'ai plus la force, mais tout simplement parce que je suis dans un autre monde. Entouré par la foule je suis seul, encore dans ma course. Je viens de courir 14h45 durant, 83 kilomètres, mais je ne m'en rends pas encore bien compte. Je récupère une bouteille d'eau, avant de m'asseoir par terre. Je reste là quelques dizaines de secondes, récupère mon lot finisher et sors du sas d'arrivée, ça y est c'est fait, je suis finisher de cette Maxi Race. Je viens de courir une telle distance alors que je commençais le trail il y a à peine moins de 2 ans, une nocturne de 8 kilomètres. 15 minutes après être arrivé, ce sera passage par la case Croix-Rouge, car je me sens mal et je peine à tenir debout, tiraillé par l'envie de rendre. Il me faudra une bonne nuit de sommeil pour me remettre de cette course qui a su me pousser dans mes retranchements.
Plus qu'une belle course, il était question d'accomplissement personnel, de dépassement de soi, d'une quête de reconnaissance et de respect, aujourd'hui c'est chose faite. Comme boulimique, en voulant toujours plus, c'est maintenant vers la CCC de septembre 2017 que mon regard se porte. Pour autant, cette MaxiRace aura eu une importance toute particulière, comme la première page d'un nouveau chapitre qui s'inscrit dans mon aventure, mon aventure trail.
Les premières centaines de mètres sont effectuées le long du lac, éclairé par quelques lumières ça et là. A ma grande surprise des supporters sont déjà présents ! Mais vu l'entrain et la détermination que mettent ces derniers dans leurs encouragements, il y a fort à parier que ce ne sont que de mauvais clubbers sortis de boîte un peu trop tôt et pris malgré-eux dans l'ambiance de ce début de course. Quoi qu'il en soit, la course est lancée ! Evidemment, une course n'en serait pas une sans ses fous furieux doublant à tour de jambes dans les trois premiers kilomètres, je reste encore une fois bouche bée devant ces types qui pensent partir sur dix kilomètres, qu'importe, ça fera des places de gagner sans se fatiguer au prochain ravitaillement...
Sachant qu'on part pour quelques kilomètres de montée, j'essaye de me faire des amis avec qui taper la causette, histoire que l'ascension soit moins monotone mais la première tentative est un echec. J'entends parler de points UTMB et de CCC, j'essaye d'intégrer la conversation, mais rien n'y fait, personne ne veut causer ce matin, tant pis. Je monte très tranquillement, à un rythme bien inférieur à celui qui est d'ordinaire le mien, car je ne sais pas vraiment comment gérer la course et comment mon corps va réagir à cet effort nouveau. Dans le doute, je prends mon temps, car de toute manière, le but aujourd'hui c'est de terminer la course, et rien d'autre. Les conditions météo sont pour le moment optimales, la fraicheur du matin et des plus agréables, le terrain est sec et se compose majoritairement de caillasses et de bonnes racines, un poil différent de notre terrain Vosgien. Oui la croziflette de la veille, on y vient ! A ce moment précis je la regrette un peu, quelques douleurs d'estomac me rappellent que ce n'était peut être pas la plus sage des décisions, mais disons qu'il n'y a rien d'insupportable. Je rattrape un copain du club avec qui je décide de monter jusqu'au Semnoz. Je suis plutôt frais mais je me réserve pour la suite, et un peu de compagnie ne me fait pas de mal, le temps passe plus vite!
Les quelques centaines de mètres avant le sommet du Semnoz sont source de motivation, il y a du monde, de beaux paysages à contempler, à ce moment, la course est vraiment plaisante. La vue est à couper le souffle. Une fois le sommet passé, et après une légère descente, nous arrivons sur le premier ravitaillement. J'y croise des personnes qui me sont familières, histoire de se redonner du courage. Le ravitaillement est absolument bondé, tout le monde court, se bouscule, à celui qui remplira sa flasque en premier et j'en passe. Une soupe à la bonne température, ni trop chaude, ni trop froide, du pain, du fromage et du jambon, quelques quartiers d'orange auront été suffisants pour que je sois à nouveau d'attaque. Je fais remplir mes flasques et je repars. En sortant du ravitaillement, et à quasiment 1700m d'altitude, il fait presque frisquet. Il est un peu plus de 8h00 après 18 kilomètres et 3h07 de course.
En repartant du ravitaillement, on profite quelques instants des beaux paturages et de la verte prairie avant de s'engager sur une trace bien moins accueillante, majoritairement de la caillasse avec une forte pente, je crois que l'heure de se chauffer les quadris est venue ! Voilà pas 10 minutes que je suis parti du ravito que la digestion fait déjà son oeuvre, le tout allié à ces maux de ventre précédents. Je me fais à l'idée que je vais devoir m'arrêter pour régler ce petit problème ... et alors qu'il fait encore relativement frais, la goutte qui s'échappe de mon front m'indique clairement qu'il va falloir le régler rapidement ce problème. La gêne se fait plus intense et lorsque je souhaite m'arrêter, je repense au fait que la descente depuis le Semnoz allait être intégrée au Négatif-Trail Challenge. Entendez par là le temps passé sur les quatre descentes les plus importantes de la course, en gros le classement du meilleur descendeur ! Hors de question donc de s'arrêter. Cette descente j'ai l'impression de la subir un peu, la première de la journée, et je ne suis pas vraiment habitué à descendre si longtemps, presque 10 kilomètres ! Pour autant il n'y a rien de bien technique et je rallie Saint-Eustache en douceur, je refais rapidement l'appoint en eau et je repars.
L'ascension du col de la Cochette se fait sans véritable accroc, ça monte plutôt fort mais pendant peu de temps, les premières fenêtres s'ouvrent sur le lac, sans toutefois trop se dévoiler, comme un avant gôut des beaux paysages qui allaient nous attendre sur la seconde partie de parcours. En revanche, ce que je me remémore très bien, c'est la descente de ce col, une superbe monotrace dans laquelle je me fais plaisir, je double beaucoup de coureurs vraisemblablement en difficulté dans cette partie technique. Il y a encore du monde et les sentiers sont relativement serrés, lorsque'une occasion de dépasser se présente, il ne faut pas la manquer. J'ai justement devant moi un bon descendeur qui m'ouvre le passage et qui nous annonce à chaque dépassement. Ludique, joueuse, le terrain est sec et la poussière se soulève au passage de chaque coureur, un vrai régal. La fusée qui me précède d'ailleurs manque de se vautrer magistralement. Par je ne sais qu'elle accrobatie, il arrive pourtant à se rattraper à un arbre : 9 pour la beauté du geste. Le temps passe à une vitesse folle que nous sommes déjà au 35 eme kilomètre. Poignée de mains échangée avec celui qui m'a ouvert la route et je ne manque pas de le remercier pour la sympathique descente qu'on a finalement rapidement enchainée. Jusqu'à présent nous nous trouvions en permanence abrités du soleil, lorsque la trace nous fait sortir de la forêt, je suis presque aussitôt frappé de plein fouet par le soleil. Je profite de la présence d'une rampe à eau pour m'asperger mais rien n'y fait, la chaleur et le soleil commencent à faire leur oeuvre. Je repars du point d'eau, un peu inquiété par les températures auxquelles je n'avais pas réellement prêté attention jusqu'à présent.
Durant les quelques 6 kilomètres restant pour rallier Doussard et la mi-course, je bois sans cesse, cherchant à étancher ma soif sans y parvenir. Le profil est descendant et plat jusqu'au prochain ravitaillement mais sans aucun doute il s'agit là pour moi d'une des parties les plus compliquées de cette course, je souffre subitement de la chaleur, à laquelle la course ne nous avait pas exposés jusqu'à présent et quelques kilomètres de plat sur route goudronnée entameront grandement mon moral. Malgré tout je reste positif, le lac se dévoile toujours un peu plus et on commence à pouvoir véritablement profiter du paysage.
Plus qu'un seul kilomètre et le ravitaillement de Doussard sera à moi, j'ai bu près d'1L5 d'eau en 6 kilomètres, je tiens dans ma main la flasque que je viens de vider. Il y a un monde fou sur ce ravitaillement, les encouragements pleuvent de tous côtés, un homme voyant bien que je suis entamé me lance un " 300 m et tu vas pouvoir boire un coup !", j'en rêve ! Juste avant de passer le portique, je reconnais des membres du club à qui je fais rapidement signe sans m'attarder, je meurs d'envie de boire et de me ravitailler. En entrant dans la zone, je plonge ma tête sous l'eau froide pour tenter de faire baisser la température, il est midi est la chaleur est accablante. Je prends le temps de me ravitailler, et si certains ont pu trouver quelque chose à redire sur la quantité et la diversité de nourriture présente, celle-ci me convient parfaitement : pizza, quiche, jambon, fromage, pain, soupe, salade de pâtes, compotes à emporter, du salé, du sucré, tout y est, rien ne manque ! Je discute avec des amis messins, dont Loïc ( la star de mon précédent récit ), qui me mettent en garde sur cette seconde partie de course, plus exposée, plus technique et surtout plus raide. En sortant du ravitaillement je vois in-extremis des personnes qui me son chères, ce qui ne manque pas de me rebooster, car à cet instant, le moral n'est pas au beau fixe, la course est encore longue.
En repartant, j'étudie le profil, et sais que la difficulté majeure de la course se trouve ici. Une succession de trois cols qu'il va falloir attaquer avec retenue. J'entame donc l'asension avec quelques maux d'estomac encore, qui soit dit en passant, avaient disparu après la descente depuis le Semnoz. Heureusement je retrouve un peu d'ombre dans la montée, qui s'effectue en lacets, la pente n'est pas spécialement raide, mais après seulement quelques kilomètres, j'accuse le coup. Nombre de coureurs sont assis là sur le bord du chemin, le regard vide et l'air hagard, d'autres se mettent encore à vomir, pas de doute, la course est difficile pour tout le monde. Je décide de m'asseoir car j'en ai marre, la montée n'en finit pas, il fait chaud à crever, j'ai mal au ventre, et j'ai seulement parcouru la moitié du parcours. C'est à cet instant qu'on attend le déclic, c'est à ce moment qu'on cherche la motivation là où on ne sait la trouver, trouver la petite chose qui nous fera continuer, cette petite chose qui marque la ténue frontière entre échec et réussite. Je pense personnellement à une phrase qu'à pu dire Guillaume Peretti dans un épisode de 47 minutes, alors que ce dernier était également dans le mal ( la série de Stéphane Brogniart ) " on n'a pas le droit d'abandonner quand même ... une course comme ça ". C'est ce que je vais me dire, une course comme ça, on ne l'abandonne pas ! On pense au moment où on passera la ligne d'arrivée, encouragé par ses proches, et rien que pour ça, je crois que ça vaut la peine de se faire un peu de mal, puisque de toute évidence, c'est le moral qui en a pris un coup et que je n'ai aucun problème physique. Un passage à vide qui aura duré quelques dizaines de secondes, mais nécessaire pour repartir plus fort. Une profonde expiration, et c'est reparti. Je suis franchement remotivé lorsque je passe le col de la Forclaz, en pleine effervescence. Un point d'eau se trouve à quelques centaines de mètres de là, je n'ai pas le temps de le voir arriver tant je suis subjugué par le paysage. La rampe à eau se trouve derrière un refuge à l'abandon, comme la matérialisation de cette notion de temps qui n'existe plus, je ne sais pas depuis combien de temps je cours et encore moins à quelle place je peux bien pointer. Je refais rapidement le plein, m'asperge encore une fois et je repars.
Notion de temps que je retrouve malgré tout lorsque je reçois un SMS de soutien. A ma grande surprise j'apprends également que je pointe presque à la 350 eme place, ce qui me parait complètement dingue. A ce moment j'entame le deuxième des trois "cols" qui composent cette difficulté du jour. Je trouve les paysages si époustoufflants que je ne ressens plus de douleur, ni de gêne, je suis juste heureux de courir et j'y prends beaucoup de plaisir. Du monde il y en a encore près du col de l'Aulp, ce qui je pense, participe à ce regain de bonnes sensations.
En arrivant à Menthon, je me donne le temps de me ravitailler correctement, il reste une quinzaine de kilomètres et je souhaite éviter toute défaillance dans cette dernière partie de course. Il fait encore excessivement chaud et j'ai du mal à trouver de l'air, lorsque j'entre dans le gymnase et que je m'asseois quelques instants, j'ai l'impression d'être dans un hammam, je transpire alors même que je ne bouge pas, je sens réellement la chaleur s'échapper de mon corps, chaleur emmagasinée durant cette journée déjà bien entamée. Je mange correctement et décide de faire un tour par le stand du podologue, lui demande de la crème anti-frottement car je sens que les ampoules commençent à faire leur apparition. Une fois la crème passée, je repars, déterminé à en finir le plus rapidement possible. 68 kilomètres de course, il est 16h52 et voilà près de 12h que je cours.
Je pars donc confiant, un peu trop peut-être, car je me dis que le plus dûr est fait et que cette fin de course ne sera qu'une formalité. Seulement, je suis vite rattrapé par la réalité quand un coureur qui se porte à mon niveau engage la discussion et m'annonce qu'il reste près de 1000 mètres de d+. Un chiffre qui me fait saigner les oreilles et qui a un effet instantané. En plus de ça, j'ai l'impression de mal digérer le dernier ravitaillement, j'essaye de me rassurer en disant que c'est normal, qu'il me faudra une bonne demi-heure pour assimiler. Pourtant, plus je monte, et plus je me sens mal, c'est sûr quelque chose que j'ai mangé au ravitaillement ne passe pas. Mes "supporters" du jour m'envoient des messages pour me remonter le moral, mais ces derniers kilomètres paraissent interminables. D'autant que les derniers mètres pour atteindre le Mont Baron sont vraiment difficiles, une montée plutôt technique et des rochers à gogo sont sur le point de me faire exploser. Je tiens bon malgré cela et lorsque je vois le poste de secours en montagne, je me dis que nous sommes en haut. J'en profite pour prendre une photo car la vraie vue sur le lagon bleu, c'est d'ici que nous l'avons ! Au final il faudra encore grimper quelques dizaines de mètres pour être réellement au sommet de ce Mont Baron, un dernier badgeage confirmera que désormais c'est la descente que j'allais attaquer.
C'est parti pour 3 ou 4 kilomètres de descente, au départ légèrement technique, elle se fait ensuite plutôt roulante. Elle est même sympathique cette descente, enchaînant lacet sur lacet sans trop fort dénivelé. Au travers des arbres on aperçoit le lac, plus on descend et plus il grossit naturellement. Un membre de l'organisation m'annonce exactement le nombre de mètres restant, mais je ne l'écoute pas vraiment, mes yeux sont rivés sur ce lac qui grossit, trop lentement à mon goût. C'est ensuie la voix du speaker, les klaxons des voitures et le brouhaha de la circulation qui m'indiquent qu'il ne me reste plus que quelques centaines de mètres avant de sortir de la forêt et de rejoindre la promenade du lac. Ca y est, le dernier chemin trace tout droit au travers des arbres vers le lac, je sais que j'y suis, la route est maintenant visible. Je la traverse et j'emprunte le ponton, sur lequel nombreux sont ceux qui s'adonnent à un sport dans lequel j'excelle : l'apéro. Il y a foule et il faut parfois esquiver les badauds. Je ne compte plus les encouragements, les "bravo", les "courage", car il ne m'atteignent plus, non pas par égoïsme, mais tout simplement parce que je suis trop concentré à chercher du regard le point qui marquera l'arrivée de cette course de folie. Je quitte le ponton, et j'attaque la ligne droite que je reconnais, le dernier morceau de trottoir, avant de bifurquer sur la gauche, on me dit qu'il reste 200 mètres. Une fois le virage opéré, je vois l'arche d'arrivée, mes soutiens sont là, je ne les vois qu'au dernier moment, je sers le poing en même temps que je soupire, ma soeur me lance un " termine propre !! ". Ce moment que j'avais imaginé tant de fois, ce moment qui avait donné lieu à tant de discussions mégalo du genre " tu crois que je dois passer la ligne comment ? je dois faire quoi ? comme ça, ou comme ça ?", ce moment, c'est maintenant. Je monte sur l'espèce de rampe qui se trouve sous l'arche, et rien. Il ne se passe rien car je suis vide, incapable de lever les bras, non pas parce que je n'ai plus la force, mais tout simplement parce que je suis dans un autre monde. Entouré par la foule je suis seul, encore dans ma course. Je viens de courir 14h45 durant, 83 kilomètres, mais je ne m'en rends pas encore bien compte. Je récupère une bouteille d'eau, avant de m'asseoir par terre. Je reste là quelques dizaines de secondes, récupère mon lot finisher et sors du sas d'arrivée, ça y est c'est fait, je suis finisher de cette Maxi Race. Je viens de courir une telle distance alors que je commençais le trail il y a à peine moins de 2 ans, une nocturne de 8 kilomètres. 15 minutes après être arrivé, ce sera passage par la case Croix-Rouge, car je me sens mal et je peine à tenir debout, tiraillé par l'envie de rendre. Il me faudra une bonne nuit de sommeil pour me remettre de cette course qui a su me pousser dans mes retranchements.
J'avais comme seul objectif d'être finisher, je termine au final 213eme au scratch et 131eme au Négatif-Trail challenge. A en croire l'évolution tout au long de la course, la gestion a été bonne. Concernant l'organisation, je l'ai trouvée excellente, l'ambiance était plus que dingue, tout était réuni pour faire de cette course une TRES belle course. Aux personnes qui m'ont soutenu, à l'organisation, je souhaiterais ne dire qu'un mot : merci.
Plus qu'une belle course, il était question d'accomplissement personnel, de dépassement de soi, d'une quête de reconnaissance et de respect, aujourd'hui c'est chose faite. Comme boulimique, en voulant toujours plus, c'est maintenant vers la CCC de septembre 2017 que mon regard se porte. Pour autant, cette MaxiRace aura eu une importance toute particulière, comme la première page d'un nouveau chapitre qui s'inscrit dans mon aventure, mon aventure trail.
Sincères félicitations, remarquable prélude à une série de trails toujours plus longs, plus exigeants, plus hauts, plus beaux, plus fous !
RépondreSupprimerSalut, je viens de lire ton aventure, bravo, j'y serai cette, trop hâte, en espérant vivre une belle aventure et être finischer comme toi
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